En exclusivité pour SenseAgency, Frédéric Gallois, ancien patron du GIGN, nous donne sa lecture de la situation que la France vit actuellement.
” Depuis plus de 30 ans, nos hommes politiques – et beaucoup d’intellectuels – ont cru à une théorie de la « fin de l’histoire », en proposant un nouveau roman national qui est en train de prendre fin aujourd’hui.
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Nous avons baissé la garde car incapables d’anticiper les menaces issues de la déstabilisation du Moyen-Orient et du monde musulman en général. Obnubilé par la guerre contre le pacte de Varsovie puis la puissance russe, nous n’avons pas su réorienter nos efforts sécuritaires sur la protection de nos frontières et la maitrise des idéologies séditieuses et menaçantes en interne. Depuis les années 1990, nous n’avons eu de cesse de détruire ou fragiliser des pans entiers de nos outils de défense et de sécurité. Or aujourd’hui, nous déclarons pas une, mais des guerres sur plusieurs fronts. Mais quand nous nous retournons pour faire l’état de nos forces, nous réalisons que le bilan de nos choix sécuritaires est catastrophique.
Rappelons la décision de mettre fin au service national, prise par Jacques Chirac en 1996. Au delà de la volonté, louable, de professionnaliser notre armée, nous avons totalement écarté le rôle essentiel de cette organisation fondatrice dans la propagation de l’esprit de défense. Pourtant, cet esprit de défense était au cœur de notre pacte républicain en déclarant que « tout français est soldat et se doit à la défense de la patrie » (Loi Jourdan, 1798, Article 1). Nous regrettons aujourd’hui une formule de substitution qui aurait permis de conserver ce lien sacré entre le citoyen et la défense de sa patrie.
Par ricochet, nous avons laissé périr un deuxième outil concourant à la défense nationale en temps de crise, à savoir la Défense Opérationnelle du Territoire (DOT). Composée à l’origine essentiellement d’unités créées en mobilisation et donc basées sur la conscription, nous n’avons pas été capable de définir un cadre et des moyens permettant de maintenir une organisation taillée pour faire face à des crises sur le territoire.
Car la réserve opérationnelle – substitut potentiel de la conscription – n’a pas été dotée d’une dynamique et des moyens propices à l’émergence d’une « garde nationale » susurré du bout des lèvres par François Hollande ces derniers jours. Les hommes politiques rêvent d’avoir derrière eux un outil citoyen permettant de mettre en avant la montée en puissance d’une force d’appui prête à soulager l’Armée et la Police ; mais ils se retournent et le miracle n’aura pas lieu. Depuis 20 ans, les arbitrages financiers à la baisse n’ont pas permis d’atteindre un renforcement et une modernisation de cette réserve ; même si des rattrapages ont été timidement votés ces dernières années.
De plus, rappelons que de 1997 à nos jours, nous avons eu de cesse de réduire les formats des Armées et des forces de sécurité intérieure. De 446 000 militaires en 1990, nous approchons désormais les 240 000 militaires avec un effectif de combattants de l’Armée de terre proche, selon cette formule choc -, « de l’effectif pouvant être contenu dans le stade de France ». Retenons qu’il y aura en 2019 moins de militaires professionnels dans les armées qu’en 1996 avant … la professionnalisation.
Enfin, nous avons « courageusement » fait glisser la gendarmerie du Ministère de la Défense vers le Ministère de l’Intérieur mais sans véritablement avoir préparé une consolidation de sa particularité militaire pourtant essentielle à la plus value qu’apporte cette organisation à la sécurité nationale. Les refontes successives de la Police de Proximité n’ont pas donné satisfaction et la fusion des RG avec la DST a fragilisé le renseignement territorial qui semble avoir aujourd’hui perdu de son efficacité.
Certes, nos hommes politiques ont fait du ménage au sein des administrations sécuritaires, en réorganisant, fusionnant, découpant, réduisant tout en augmentant toujours les politiques sociales et l’assistanat collectif. Mais ont-ils réussi à anticiper les menaces et préparer les besoins de défense et de sécurité aux enjeux du monde actuel ? Beaucoup de responsables ont oublié que le conflit était inhérent à toute civilisation digne de ce nom. Avoir voulu oublier que nos valeurs, pour survivre, devaient être défendues sans jamais baisser la garde, était une faute. Nous sentons que l’Histoire est de retour pour nous le rappeler…. “
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